i. armistice

Quelle mauvaise idée. Mais je dois bien reconnaître qu’elle est maline à souhait : par on ne sait quel miracle, le pater familias cède aux supplications de sa pupille. Combien de temps va-t-elle mettre à se décider pour la tenue ? Les robes se succèdent, les couleurs s’enchaînent et finissent par se mélanger. Et puis elle trouve enfin la perle rare, celle qui sera la plus à même de bonifier cette si belle image qu’elle doit conserver lors de ses rares escapades.

L'inattendu. « Il t’ira à ravir. »

— Veste ajustée à parmenture droite comprenant deux poches à rabat devant et une poche passepoilée. Le fameux col cranté. Le gilet noir plus qu’ajusté aux cinq boutons. L’indispensable chemise blanche. Le pantalon de costume aux mailles fines. Les gants légers. Écharpe rouge. —

Plaît-il ? Hors de question que j’enfile ça — d’autant plus qu’il y a une cravate — et la grimace que tu viens de faire ne m’encourage pas plus que cela à sauter le pas. Niet. Pas qu’il soit déplaisant, non, mais admettons qu’il puisse être légèrement... kitsch ?

***


Le pouvoir des femmes n’a pas son pareil. Cette cravate est trop serrée. A mon tour donc de tirer une moue.

Sans grande surprise, il y a du monde. L’armistice est un jour de fête, je ne vois même pas comment j’ai pu espérer ne croiser personne. Faisons profil bas et terrons-nous dans la masse. Mais bien entendu, rien ne se passe jamais comme prévu chez les dan Zadriel. C’est sans compter sur l’énorme sens de la discrétion de ma protégée : elle explose de rire à s’en décrocher les amygdales. Sont-ce bien là les manières d’une lady ? Je ne crois pas. L’agitation se fait encore plus ressentir suite à l’incident et c’est avec une certaine apréhension que je viens poser la main droite sur l’épaule la plus proche d’Ehléa. Infime pression. Un peu de celles qui signifient le fameux “ nous ne devrions pas rester ici ”. Je ne tiens pas à entendre les interminables sermons du père si quelque chose doit arriver à sa fille : elle est à ma charge, alors même s’il me faut la porter pour lui éviter la moindre égratignure, je le ferais — par chance, elle n’est pas bien épaisse.

L’interruption. « Mademoiselle, Monsieur, j’espère que ce spectacle vous a plu. » ce spectacle.

Parce que voir une gamine se vautrer la tête la première dans ce qui semblait originellement être une pâtisserie c’est censé être divertissant ? Tu parles d’un spectacle. Tant que tu restes à distance le moustachu, c’est tout ce qui compte. Ne t’avise pas de faire un pas de plus. Par réflexe, je fais reculer la bambine d’un pas et me place un peu plus en avant, jugeant l’étrange personnage.

Un peu plus loin, il me semble que c’est le branle-bas de combat, l’effervescence. Mais pourquoi sont-ils tous aussi gauches ici ? C’est l’armistice, pas la fête de la poliomyélite, à ce que j’en sache.

L’armistice. Un vrai supplice, oui.

« Mesdames, messieurs. J’ai bien peur que nos premières relations (...) » choc. Cette voix. Je lâche l’héritière des yeux pour faire volte-face, cœur battant à tout rompre. Käos. « C’est pourquoi j’invite notre charmant ami moustachu à retourner au centre de l’attention et répondre de ses provocations. » Que — Mais qu’est-ce que tu fais espèce d’idiot ? Puis il laisse tomber le voile, montre son visage. Käos. Je n’ai pas le temps de m’élancer que la situation dégénére à nouveau, me faisant serrer les dents. Arrêtez bande d’abrutis !

Plus rien autour n’a d’importance. Ni les cris, ni le cirque, ni le reste. Où vas-tu, Käos ? Mes mirettes se plissent.

L’espace de quelques minutes, j’en oublie même mon objectif premier : veiller sur l’adolescente. Rapide, je prends la direction de celui qui m’intéresse et arrive bien vite face à lui. Et maintenant, tu fais quoi ? Me trouvant à quelques pas à peine et voulant attirer son attention, je le fixe et le siffle avant de lui balancer un fruit qui traînait sur l’un des établis.

Bravo le veau.